Souveraineté numérique : le bras de fer entre le Nigeria et Meta redéfinit les règles du jeu en Afrique

La souveraineté numérique ne se décrète pas. Elle se bâtit, dans la durée, par des choix réglementaires clairs et des décisions politiques assumées. Le Nigeria, première puissance démographique et marché numérique d’Afrique de l’Ouest, vient d’en poser une pierre fondatrice.

En 2023, trois autorités nigérianes ont imposé à Meta (maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp) plus de 290 millions de dollars d’amendes, pour pratiques anticoncurrentielles, publicités non conformes et violations des lois sur la protection des données. La Federal Competition and Consumer Protection Commission (FCCPC) a infligé 220 millions de dollars pour entrave à la concurrence. L’autorité publicitaire a ajouté 37,5 millions, et la Nigerian Data Protection Commission (NDPC) a prononcé 32,8 millions supplémentaires. Meta a contesté ces décisions devant la Haute Cour d’Abuja, sans succès. L’entreprise a menacé de suspendre Facebook et Instagram au Nigeria si elle est contrainte de payer. La justice lui a donné jusqu’à fin juin pour s’exécuter.

Mais ce bras de fer va bien au-delà d’un contentieux juridique. Il soulève une question essentielle : les États africains peuvent-ils réellement faire respecter leurs règles face à des plateformes mondiales ? Le Nigeria apporte une réponse claire. Il affirme que ses lois doivent s’appliquer sans distinction, qu’il s’agisse de transfert de données, de publicité ou de protection des consommateurs.

Dans ce contexte, il est crucial de clarifier ce que recouvre la souveraineté numérique. Elle ne se confond ni avec un repli technologique, ni avec un autoritarisme numérique. Il ne s’agit pas d’ériger des murs, mais de s’assurer que les données, les systèmes, les règles et les modèles économiques servent d’abord les intérêts nationaux et les droits des citoyens. C’est la capacité pour un État de définir ses priorités numériques, de protéger sa population, de réguler les plateformes en fonction de ses propres normes – et non selon des standards imposés de l’extérieur.

L’Union européenne a su, ces dernières années, établir un cadre juridique exigeant à travers des instruments comme le Règlement général sur la protection des données (RGPD) ou le Digital Markets Act. Ces instruments offrent une régulation efficace pour des entreprises dont l’impact dépasse souvent celui de pays entiers. Cette expérience démontre qu’il est possible de maîtriser le numérique, même face aux plus grands acteurs économiques, à condition de disposer d’une volonté politique forte et d’une organisation collective.

Dans le contexte de l’Afrique, il est pertinent d’examiner cette méthode. Une réponse fragmentée affaiblit la capacité d’action des États. Au contraire, une collaboration entre nations – que ce soit via l’Union africaine, la CEDEAO ou d’autres structures régionales – augmenterait la capacité du continent à imposer ses priorités en termes de gouvernance digitale. Cela implique une harmonisation des lois, un dialogue organisé entre les régulateurs et un regroupement des ressources en droit et techniques.

Le cas du Nigeria ne saurait être isolé. Cela démontre la nécessité d’une expansion à grande échelle. Il est impératif que les nations africaines établissent des normes précises, adaptées à leur contexte, tout en sauvegardant les droits essentiels dans le domaine du numérique. Cela implique de doter les autorités nationales des moyens de contrôle effectifs, de favoriser l’émergence de technologies conçues localement, de développer les compétences numériques à grande échelle, et d’ancrer l’action publique dans une vision cohérente du numérique au service du développement et de la souveraineté.Il ne s’agit pas de refuser la mondialisation du numérique, mais de la rééquilibrer.

Le Nigeria vient de rappeler que le droit ne s’arrête pas aux frontières physiques. Il s’étend aussi à la gouvernance des données, à la fiscalité numérique et à la protection des citoyens en ligne. Ce tournant doit maintenant devenir une trajectoire collective.


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