La redevabilité est l’obligation pour tout gestionnaire de biens publiques et tout représente de tierces personnes de rendre compte des affaires qu’il mène en leurs noms
C’est une pratique de bonne gouvernance qui renforce la confiance entre les dirigeants, et plus généralement les commis publiques et leur base.
Ainsi, toutes les autorités à tous les niveaux et tous postes qu’ils soient électifs ou nominatifs, se doivent de respecter ce principe. La redevabilité exige la responsabilité réciproque entre gouvernants et gouvernés. En effet, pour qu’elle soit effective, chacun devra assumer ses devoirs et exercer ses droits. Le droit d’être tenu informer ou de réclamer l’utilisation des taxes collectées vient avec le devoir de payer celles-ci Les droits de dénoncer l’insalubrité vient avec le devoir d’agir de manière salubre.
La redevabilité requiert donc une réciprocité et des actions proactives et réactives.
L’Internet et plus généralement les outils numériques ouvrent la voie à de nouvelles possibilités pour exercer plus facilement la pratique de la redevabilité. En effet, des initiatives publiques et privées démontrent cet état de fait.
En commune V du district de Bamako, la Mairie utilise l’application Mobile MonElu pour interagir avec la population. En effet, cette application développée par Tuwindi permet à la mairie de rendre régulièrement compte de ses activités, de répondre aux questions et interpellations des habitants et même d’organiser des débats à fréquence régulière.
Chaque mois, le Maire fait un message à l’ensemble des utilisateurs de sa commune pour leur parler des affaires de la commune. Le message est accessible en texte écrit en français, en audio dans la langue Bambara et Songhoï.
Chaque deux semaines, un de ses Adjoints se prête à un exercice de question-réponse avec les citoyens sur un sujet choisi. Cela peut être sur la TDRL, le foncier, l’emploi etc.
De manière spontanée, les citoyens posent également des questions qui sont instantanément répondues par la mairie.
En moins de quatre mois, la mairie a pu mobiliser via cette application plus de 2000 personnes dont l’âge moyenne est de 24 ans et petit à petit accroît l’implication d’habitants dans la gestion des affaires publiques dans la commune par les moyens digitaux.
Dans le cadre des directives communautaires de l’UEMOA sur la transparence budgétaire, le ministère en charge des finances au Mali publie sur son site web https://www.finances.gouv.ml/ , toutes les informations liées aux passations des marchés publiques, le budget d’État complet et simplifié et les contrats.
Le gouvernement malien, au travers de ses comptes Facebook et Twitter, informent régulièrement sur les activités du Président et des Ministres quasiment en temps réel.
Lors de l’élection présidentielle de 2018, à la suite de la pression des missions d’observations internationales et nationales, le ministère de l’administration territoriale a publié sur son site web les résultats des élections bureau de vote par bureau de vote. Cela a permis aux organisations impliquées dans la veille électorale de déceler de multiples incohérences et par la même occasion.
Il ressort de ces cas, que le pouvoir de renforcement de transparence et l’ouverture des TICs aux plus grands nombres en fait un moyen accessible pour faire de la redevabilité une réalité à tous les niveaux.
Chez Tuwindi, la perspective de MonElu est d’aller vers la redevabilité mutuelle dans le cadre de la co-construction de la cité. Dans ce cas, les citoyens et les gouvernants décident ensemble et chacun joue sa partition de manière transparente. A titre d’exemple, l’état de paiement des taxes des citoyens est rendu publique de même leurs usages par les dirigeants ou encore la participation de la population aux choix des projets, ainsi que leurs accès aux informations sur leur exécution.
Cette dématérialisation conduira à la cogestion responsable, ce qui atténuera la corruption, renforcera la confiance et favorisa le développement inclusif et durable.
Évidemment si les TICs ouvrent des voies quasi-incalculables, il faut noter plusieurs défis importants qui ne les permettent pas d’exprimer leur plein potentiel.
D’un point de vue politique, les autorités qui, jusque-là contrôlaient l’espace médiatique perdent leur monopole grâce aux réseaux sociaux qui engendrent de nouveaux acteurs plus influents à eux seuls que les médias d’État. Ils obligent les autorités à rendre compte sous pression. Étant pris de court pour les mutations engendrées par l’Internet, elles ne jouent pas souvent à souhait le jeu de la transparence et mettent en avant les menaces que peuvent présenter les réseaux sociaux et plus généralement l’Internet en éclipsant toutes les opportunités qu’ils offrent y compris le fait qu’eux-mêmes les utilisent pour leurs propagandes.
Les résultats des bureaux de vote diffusés par le gouvernement sous contrainte étaient au format « PDF » et l’extraction et le traitement des données requièrent des compétences techniques qui ne sont souvent pas à la portée des organisations de la société civile encore moins du citoyen lambda. Le gouvernement aurait simplement pu diffuser le fichier lisible par un tableur tel que Microsoft Excel ou OpenOffice.
Ce manque de volonté constitue un défi et conduit parfois à l’adoption de loi souvent restrictives des libertés créant de ce fait une méfiance des utilisateurs.
La législation applicable aux digitales, doit être co-construite avec les utilisateurs, qui sont volontaires pour mener cet exercice avec l’État. Ce manque de co-creation des règles enfreint le principe de base de la redevabilité mutuelle à l’ère du numérique et le produit créé est souvent une approximation grossière rapidement rejetée.
La loi sur la cybercriminalité présente un bel esprit, mais faute de la faible implication des acteurs du numérique dans son processus d’élaboration, elle est devenue aussi un texte de restriction et de menace des libertés.
D’un point de vue économique, les solutions de participation par le numérique sont souvent financées dans le cadre de projets subventionnés. Ce modèle par sa nature vient avec des exigences qui peuvent potentiellement compromettre la viabilité du projet en fin de subvention.
Les frais d’accès sont encore hors de portée des populations de même que les équipements qui peuvent offrir un confort d’utilisation optimale. Or la facilitation d’accès des populations aux services numériques est un facteur incontournable pour propulser l’économie numérique et accroître la participation citoyenne par le numérique. En effet, on peut tout à fait imaginer un accès gratuit à toutes les plateformes publiques hébergées au Mali. Seuls les services de ces plateformes seraient payants, les opérateurs et les prestataires de ses services digitaux pourront alors trouver un accord raisonnable et favorable aux utilisateurs sous l’œil vigilant et bienveillant du régulateur compétent de l’État.
Le rôle du secteur privé, notamment celui des opérateurs de services de télécommunication est important dans la lutte pour la redevabilité par le numérique. Ils doivent être redevables au peuple et aussi agir pour qu’il puisse tirer le meilleur parti. A ce titre, il est important de construire des partenariats entre opérateurs de services de télécommunication, les fournisseurs de solutions de participation et plus généralement de « Civic-Tech » et l’Etat.
Au plan technique, les solutions de participation sont souvent développées pour la population en occultant leur participation à toutes les étapes de leurs constructions. Ce qui fait qu’elles sont des concentrées impressionnantes de technologies qui ne peuvent être utiliser que par un très faible privilège. L’esprit de la redevabilité peut être à ce niveau aussi appliqué. Tel un candidat écoute les citoyens pour élaborer son programme, les fournisseurs de technologies doivent écouter les citoyens pour définir le cahier de charges et leur revenir avec une solution pour validation.
La première version de MonElu en 2017 n’avait pas suffisamment respecté ce principe, la prise en main de la solution ainsi que certains défis de protection des utilisateurs ont obligé les développeurs de Tuwindi à revoir tout le cahier de charges ainsi que leur stratégie. C’est pourquoi, la version actuelle – novembre 2020 – a été entièrement développée en étroite collaboration avec les populations, les élus, les cadres de l’État, les organisations de la société civile et les universitaires. Elle intègre une assistance vocale dans les langues nationales, des fonctionnalités avancées de protection de données des utilisateurs, son ergonomie a été repensée et validée par et pour les utilisateurs, une prise en charge des communications asynchrones a été intégrée ainsi que des fonctionnalités de communication texte en cas d’indisponibilité totale d’Internet. La reprise du processus de développement a été un investissement fructueux car elle a permis d’être conforme aux capacités et aux besoins des utilisateurs de l’application.
D’un point de vue social, il faut noter que les outils numériques peuvent bouleverser les codes sociaux généralement acceptés. Il est ainsi nécessaire de travailler à leurs acceptations comme outils et non comme fin en soi. De plus, il est fondamental de montrer leurs bénéfices sociaux. La notion de redevabilité et plus généralement du rapport de nos populations au pouvoir constitue un défi majeur dans le sens où la population n’est pas suffisamment instruite de la notion de redevabilité et plus généralement est se tient très souvent à l’écart des affaires publiques. Les jeunes qui sont les majoritaires en ligne accordent plus de temps aux divertissements qu’aux sujets de droits, de devoir, de démocratie ou de développement. Les faire participer à la vie publique peut-être un processus long et complexe s’ils ne sont pas accompagnés.
Ces défis aussi importants soient-ils, restent à la portée des citoyens et des dirigeants pour faire de la redevabilité mutuelle une réalité grâce aux multiples opportunités offertes par les Technologies de l’Information et de la communication. Les TIC augmentent la qualité de la démocratie, améliorent la redevabilité qui impliquera à son tour une amélioration de la gouvernance et le rétablissement de la confiance entre citoyens et dirigeants de tout bord. Ce qui aura un effet positif sur le développement harmonieux du pays.
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