Normes de professionnalisme : environnement de la presse au Mali

La plupart des professionnels de la presse au Mali apprennent sur le tas. Ils n’ont bénéficié d’aucune formation structurée ou adéquate. Cela a un impact à la fois sur la qualité de leur travail, et sur leur comportement vis-à-vis de la profession. Ce manque crée des problèmes majeurs, tels qu’une faible capacité et une compréhension insuffisante de l’environnement juridique et réglementaire de la profession.

Malgré cela, quelques-uns parviennent à se former. Ils développent un niveau de compétence remarquable et connaissent la réglementation de la presse. Malheureusement, ils font face à des conditions de travail terribles qui ne sont pas propices à la productivité. Les conditions minimales pour avoir une presse efficace et indépendante n’ont pas été réalisées. La presse devient alors vulnérable à toutes sortes de mauvaises pratiques, dans un environnement au Mali où la liberté de la presse est citée comme un succès dans le monde entier . Le modèle malien de liberté de la presse, vu sous l’angle réglementaire, peut rivaliser avec celui des pays les plus avancés. Il est triste de voir que la réalité sur le terrain est différente.

Prise dans la lutte quotidienne pour sa survie, la presse malienne se tourne vers l’autocensure. Il est devenu courant de voir la publication d’un article conditionnée au paiement. Cette pratique est acceptée par les agences de presse car elles manquent de fonds pour payer leurs reporters. Les articles publiés sont au profit de celui qui paie et sont donc biaisés car l’auteur, en effet, devient une firme de marketing à bas prix. C’est pourquoi les articles de presse ne sont souvent qu’une simple reformulation de discours officiels. Ils manquent d’analyse et d’originalité, car les reporters ont peur de mordre la main qui les nourrit.

Quel pouvoir gouvernemental se donnerait la peine d’exercer une censure sur son propre plan de propagande ? Le partenariat gagnant-gagnant entre les agences de presse et les ministères n’est plus un tabou dans le pays.

La presse est muette sur les faiblesses et les mauvaises pratiques de ce « partenariat » ou, au contraire, tente de les justifier. Le gouvernement s’assure en retour que la presse ne manque pas de fonds pour l’encre et le papier, et que des publicités régulières et rentables passent par les stations de radio. Lorsque la presse devient le porte-parole du Pouvoir, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de ce qu’elle dira.

A l’inverse, si ce partenariat devait se dresser contre le régime en place, l’opposition trouve alors une main digne de retranscrire sa pensée. Malheureusement, ce travail est souvent pour la poursuite de leur ambition et ne contribue pas au bien-être des gens.

Lorsque la presse devient le porte-parole du Pouvoir, il n’y a pas lieu de s’inquiéter de ce qu’elle dira.

Que ne verra-t-on pas dans la presse ? Quelque loup solitaire, muni d’une plume d’or et jouissant d’une parfaite maîtrise de l’art de la parole, se spécialise dans le chantage. Afin de joindre les deux bouts, certaines agences de presse mènent leurs propres enquêtes sur des hommes politiques, des hommes d’affaires et d’autres personnalités influentes. Leur seul objectif est de trouver des points de faiblesse et d’entamer des négociations.

Au sein de la presse, l’esprit d’entreprise prévaut. Il faut protéger ses collègues, même s’ils foulent aux pieds l’éthique professionnelle. Cette pratique des organisations de défense de la presse engendre des conséquences plus graves, qui se développent comme une maladie silencieuse dont les symptômes ne se manifestent qu’au stade terminal. Le plus grave de ses maux est l’affaiblissement du contrepoids que la presse est censée représenter. Lorsque la presse contribue à sa propre exploitation, sa seule option est de faire profil bas au risque de perdre l’apparence de crédibilité qu’elle s’efforce de conserver auprès d’une population majoritairement analphabète. Combien y a-t-il de personnes alphabétisées qui lisent la presse nationale ?

Les événements de 1991 qui ont conduit à la démocratisation du Mali ont ouvert la porte à une prolifération de radios privées. Quel bonheur pour une population dont la tradition orale a la cote, et quel dommage de voir que les radios privées ne dérogent pas à la règle. Les auditeurs, en grande partie analphabètes, trouvent leur bonheur dans les histoires sensationnelles souvent télécommandées par le partenariat ténébreux de la presse. Dans un autre contexte, cela pourrait être appelé la corruption de la presse. En tout cas, il est particulièrement important de noter que cela conduit à un manque de crédibilité auprès des citoyens maliens. La crédibilité est plutôt allée à la presse internationale, notamment en audiovisuel. Au Mali, qui n’a pas entendu la phrase « Je suis sérieux, cette nouvelle vient de RFI ! ou « Croyez-moi, je l’ai vu sur France24 ! » ?

Les médias d’État sont à la solde du gouvernement et des médias privés, au plus offrant : la presse prise entre le marteau et l’enclume. Lequel est indépendant ? A qui faut-il faire confiance ?

L’avènement des réseaux sociaux a changé la donne. Chacun peut désormais s’exprimer sur un réseau mondial en toute indépendance, sans souci et sans attendre de paiement. Même au Mali, où l’informatique est un luxe et l’accès à Internet un privilège, aucune mesure de censure ou de répression ne pèse à ce niveau.

Les quelques internautes maliens présents sur les réseaux sociaux ont transformé l’espace en un « clickodrome », qui manque de discussion de fond. Les Maliens à l’intérieur du pays n’osent pas commenter les messages « malades et fatigués » de la diaspora sur des sujets sensibles. Ils voient les messages et peuvent cliquer sur « J’aime », mais cela ne correspond pas à une action. À bien des égards, c’est plus sûr – la seule chose que vous pouvez dire avec certitude est qu’ils ont vu le message et ont cliqué sur « J’aime » comme ils le feraient lors de la lecture d’une nécrologie sur Facebook. Ce « clicktivisme » pourrait symboliser dans bien des cas la peur de la répression ! De quoi ont-ils peur? Dont?

Il est bon d’avoir une législation promouvant la liberté de la presse, car il est essentiel d’avoir une presse autonome et indépendante. L’environnement juridique et économique devrait favoriser le développement des ressources impliquées dans ce secteur.

La professionnalisation de la presse passe par une formation de qualité. La presse représente un contrepoids. Il doit être conscient de ses capacités et peut savoir que personne n’est assez riche pour le reprendre complètement. Il doit plutôt s’assurer que la loi, les dispositions réglementaires et les bonnes pratiques de gouvernance sont respectées. Ce contrepoids est indispensable à l’éducation civique de la population. Pour cela, elle doit faire mieux comprendre les enjeux des droits de l’homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance.

La démocratie ne peut véritablement s’enraciner que si les autorités, la société civile et les médias sont responsables et interagissent de manière cohérente et transparente.

 


En savoir plus sur TIDIANI TOGOLA

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.